Le bitume de la Croisette fondait déjà à 8 h du matin. Fin juin, 35°C à l’ombre et 6400 personnes entassées sous les palmiers pour parler décentralisation.
Le contraste est violent. Des milliers de rêveurs et visionnaires du Web3 se retrouvent dans le même palais qui a vu défiler Scorsese, Cronenberg ou encore Coppola.
Le tapis rouge est bien présent, mais aucune star – ou presque – ne le piétinera pendant ces 4 prochains jours. Bienvenue à EthCC 2025, l’événement qui, pour la première fois, laisse croire qu’Ethereum vacille entre lucidité et schizophrénie.
L’enfer de la technique, la clim qui pédale et le mythe qui transpire
À peine franchi les portes du Palais des Congrès, le constat est évident : la climatisation ne survivra pas à la journée. Et moi non plus.
Je croise des développeurs ruisselants de sueur, collés à leurs laptops comme des traders de Wall Street un jour de crise.
Roger Taulé (Polygon), parle d’agrégation de preuves avec une passion admirable. Sur la rangée derrière moi, quelqu’un dort. Il se réveille pour applaudir Laonardo Gomez (Codex) qui annonce des blobs plus rapides. J’applaudis aussi.
Jérôme de Tychet, d’Ethereum France, avait ouvert la conférence en ces termes :
« EthCC est pour tous ceux qui veulent contribuer. »
La température, dehors, dépasse les 40°C en pleine soleil. À l’intérieur, la fraîcheur pourrait subsister, mais personne ne maintient les portes closes. Qui aura la lucidité de fermer la porte derrière lui, pour ne pas abandonner les visiteurs à la chaleur criminelle qui s’infiltre un peu plus, minute après minute ?
Vitalik entre en scène, Ethereum s’écroule
Le 2 juillet, 11 h 40. Vitalik Buterin, fondateur légendaire d’Ethereum, prophète cypherpunk aux allures d’elfe, entre en scène sous un tonnerre d’applaudissements.
L’entrée n’était ni spectaculaire, ni prétentieuse. Elle était violente.
« Le secteur pense qu’il suffit de construire des systèmes complexes pour résoudre les problèmes. C’est faux. »
La balle est partie.
Dans la salle, le silence est morbide. Il parle de walkaway test et d’insider attack test. Il affirme, preuve à l’appui, que la majorité des projets sur Ethereum échouent complètement à garantir la liberté.
Plus personne ne respire.
Ce n’est pas une keynote, c’est une séance de psychanalyse pour certains, et de torture pour d’autres. Ethereum se regarde dans un miroir, et il n’aime pas ça du tout. Des DAOs centralisées ; des L2 dépendantes ; des promesses d’autonomie qui se changent en mirages réglementaires.
Cocktails, pitchs et coups de poker en side-events
Le soir, sur les rooftops, tout le monde vient siroter une bonne bière fraîche ou un cocktail. Ubisoft a organisé une « pETHanque » dans l’après-midi. Les VCs jouent à qui a le meilleur pitch. On parle de millions de levés, de tokens listés, d’APY magiques. Et pourtant, à chaque conversation, la même nervosité sous-jacente. Un sentiment de glissement effrayant.
Frederik Haga (Dune), parle de réduire les coûts. Eugene (Lido) transforme le staking en produit modulaire. AJ Warner (Offchain Labs) vend une DAO auto-alimentée. Ça sonne bien. Peut-être un peu trop bien.
Le poids des contradictions tombe lentement sur mes épaules. On parle d’inclusion, mais tout le monde est sur la liste d’un side-event privé. On parle de transparence, mais personne ne peut expliquer ouvertement la tokenomics de son projet. Vitalik a vu juste.
Quand les banques arrivent, les idéaux reculent
S&P Global montre sur scène. Ethereum discute maintenant directement avec Wall Street. Andrew O’Neil déclare, froid :
« Les marchés tournent encore sur des technologies des années 80 », traduction : « Vous serez notre future, si vous coopérez. »
Ambre Soubiran (Kaiko) fait le ménage : seuls Bitcoin et Ethereum valent le coup pour les institutions. Les autres ? À la poubelle.
Alex Cutler (Aerodrome) rêve encore d’une DeFi éthique. Dans les regards, pourtant, seuls les graphiques de Trading View se dessinent juste à côté des feuilles de comptabilité et des chiffres d’affaires annuels.
Ethereum a-t-il encore un sens ?
EthCC Cannes s’achève sur les mots touchant de Jérôme de Tychet. Il parle d’idéaux, de communauté. Bref. Il parle d’espoir.
Je m’éloigne du Palais des Festivals une dernière fois, et pourtant, une question me hante encore.
Ethereum est-il encore une révolution, ou devient-il un produit ?
À Cannes, les gens brillants, j’en ai croisé énormément. J’ai vu et entendu des idées puissantes. Mais j’ai aussi vu des compromis. Beaucoup de compromis.
Au fond, peut-être que la plus grande qualité de Vitalik n’est pas d’avoir inventé Ethereum. C’est d’encore oser nous rappeler pourquoi il l’a construit : pas pour ça.
Sources : EthCC Cannes
